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11 septembre 2007 2 11 /09 /septembre /2007 11:33

Tchad - Désert - mise en place - août 83

Ante-scriptum :
Il y a très longtemps, j'ai vécu une autre vie, parfois brulante et sauvage, parfois dure et froide, souvent incroyable, quelquefois tragique, mais toujours, toujours exigeante. C'est une partie importante de mon vécu, non en temps mais en action. Elle explique, à mon sens, une partie de mes pensées et actions actuelles. Elle dirige un peu mon comportement d'aujourd'hui, elle influe sur ma personnalité. Elle m'a sauvé et a failli me perdre.
PS : pour une lecture plus "smooth" du blog et garantir mon anonymat, j'ai un peu compilé cette partie, revisité le temps et les lieux mais au final, c'est quand même ma véritable histoire.
 

   Comme chaque vendredi, ma tente militaire ressemble un peu plus à une ruche que d'habitude. Parce que le vendredi, ça arrive ! le ravitaillement par un gros Transall qui fait sa rotation magique ! de la bouffe, à boire, des nouvelles, du matos, du sang neuf ! La toute-puissance de notre civilisation qui débarque dans un vrombissement d'enfer, des odeurs de kérosène brulé et le souffle des puissantes pales des deux moteurs, qui éparpille sa marchandise sur la piste, tranportée par quelques fenwicks rapides et précis jusqu'aux hangars ; alors qu'au loin quelques ouvriers de l'aéroport en bleu de travail regardent placidement toute cette agitation.

  La plupart des hommes de mon groupe de combat sont déjà levés mais chacun s'occupe différemment : Le grand Guy prépare méticuleusement son paquetage sur son lit de toile et vérifiera de nouveau tout dans 5 minutes avant de s'équiper, c'est son antistress du matin.
  J'ai un binôme qui prépare un quart de café  sur un bleuet et qui ne jure pour son petit déjeuner que par ses terribles petits gâteaux carrés et secs comme un coup de trique mais qui vous épongent un demi-litre de café en une seconde dès que vous les trempez dedans. Quand aux autres, ils traînent entre petit déjeuner et toilette avec une bouille endormie en allant au café ou se raser.

  Pour l'instant, j'ai faim. Je me lève donc de mon spartiate lit  de toile et me dirige - c'est un grand mot - vers notre salle à manger :
  Deux tables centrales de planches et tréteaux passés au vert kaki dans cette tente militaire de 10 lits, 5 à gauche, 5 à droite. Entre chaque, une cantine mili et une sorte de chevalet de bois où l'on pose armement, treillis et brelage.  La nuit était fraîche mais de minute en minute, la température monte. En passant, je récupère la cafetière qui commence à bouillir et la pose à coté d'Yvon, déjà installé.
  
  Yvon, c'est un gars du nord. Grand et voûté, plutôt fin, blond aux yeux bleus, bleus délavés - "bleus fatigués", il dit -, un air bon enfant, des fois un rien boudeur. C'est un grand fumeur et un gestuel : il ponctue ses paroles de grands mouvements des bras et si je marche assez longtemps à coté de lui, j'ai statistiquement droit à une brulure de cigarette... malgré mes coups de gueule !

  Yvon, c'est aussi mon frérot. On n'est pas frères, évidemment, mais c'est quand même mon frérot. C'est un truc de militaire, ça ne se discute pas. Quand on partage autant de coups durs, de sueurs, de larmes pour tenir dans nos missions, ça fait se resserrer les rangs... j'ai deux autres frérots : Lionel est à Beyrouth pour la FMSB avec une compagnie de son régiment, le 17ème RGP et le grand Olivier s'entraîner une fois de plus dans un de ces stages que lui seul arrive à dégotter ! Cette fois-ci, un stage de déminage, il me semble... dans un régiment de la biffe, vers Mulhouse.
  
  Tous les quatre, nous venons du même coin du jura. Avant de partir m'engager, j'ai fait une préparation militaire parachutiste de quinze jours vers Lyon. C'était sympa, on recevait des rudiments d'enseignement militaire et surtout on pouvait faire quatre sauts en parachute en s'éjectant d'un vieux Noratlas qui avait du connaître l'Indochine.
  C'était une des plus belles périodes de ma jeune vie : j'étais sorti de l'enfer de ma jeunesse pourrie, je commençais à découvrir et à m'ouvrir au monde, je me sentais fier d'appartenir à un corps d'élite, de m'approprier des valeurs comme l'amitié, le partage ou le dépassement de soi.
  Pour l'instant, je sens la présence d'Yvon à coté de moi et cela me rassure. Je peux m'éveiller en paix, l'un veille sur l'autre et cette simple certitude me rend aussi heureux.
  Puis, comme d'habitude depuis maintenant trois semaines, je reste un instant assis sur mon tabouret, la tête rentrée dans les épaules, les mains jointes entre mes jambes serrées, les yeux vaguement fixés sur la table, histoire de me remettre les idées en place. Je suis du soir, pas du matin. J'ai besoin de ces premières minutes de repli mental pour démarrer correctement la journée. Je respire doucement mais profondément les odeurs matinales : humidité des corps trop enroulés la nuit dans leurs duvet pour se protéger du froid et en sueur dès l'aube, le sable et la terre qui rendent leur rosée, café et nourriture diverses, after-shave, odeur des treillis, graisse des armes…

  Mon rêve de cette nuit passe encore en morceaux épars dans mes souvenirs : des cailloux qui traversent le ciel… une forme féminine que j'observe, inerte mais follement désirable, parfois des petites lueurs tremblotantes qui s'en échappent..
  
  Ca fait déjà deux goldos qu'Yvon fume sous mon nez et je commence à faire la tête. Il sait pourtant que je ne supporte pas ça ! Surtout si je n'ai pas encore bu mon café ! De toute façon, il vient de me jeter un coup d'œil en coin et a vite compris : lèvre supérieure retroussée du coté gauche, sourcils froncés et yeux en amande ; ce sont des signes qui ne trompent pas chez moi : je suis à deux doigts du coup de gueule ! 

  Il se lève, sort de la tente et va finir de suçoter sa goldo dehors, pieds nus dans le sable, juste vêtu de son short mili, sa grande carcasse face au soleil levant avec pour fond sonore les bruits des gamelles, la radio de la tente d'à coté qui braille ses infos aux auditeurs encore comateux, les onomatopées de Goya, notre homme de liaison tchadien.

  De ma place, je regarde la silhouette d'Yvon, de dos, et je repense à notre arrivée en pays tchadien… J'ai rejoint une compagnie qui partait de France pour le Cameroun début août 83. C'est une spécialité française de grossir les compagnies qui partent par des renforts d'autres régiments : ça s'appelle "cannibaliser" ou "engraisser" une compagnie suivant le coté où on se place…

  Toute la 11 division parachutiste était au moment de mon départ en alerte "guépard", véritable phase "oui-non" pour entrer en conflit armé. A 3500 km au sud de la France, une garnison de gouvernementaux tchadiens dans une petite ville nommée Faya-Largeau, un bourg de semi-nomades, se faisait étriller par un pilonnage d'artillerie à l'est, largage d'hommes et matériels au nord et attaque mécanisée à l'ouest. Le repli des survivants s'est effectué dans un désordre total. Les Mirage F1 libyens harcelaient les fuyards, appuyés par de redoutables et énormes hélicos MI24, véritables tanks du ciel, sur blindés et armés jusqu'à la gueule...
  Muammar KHADAFI, président de la Jilahiya libyenne à ce jour-là le Tchad à portée de main. Il décide pourtant d'attendre une hypothétique contre-attaque et s'installe à Faya-Largeau. A Paris, l'opération Bernacle est lancée : occuper le terrain, même à un contre cent, espérant stupidement que Kadhafi n'oserait jamais lancer ses troupes contre les armées françaises !

Post-scriptum :
Pour ces dernière phrases et expliquer une situation géopolitique, j'ai repris quelques lignes du livre du colonel Spartacus : opération Manta. 

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commentaires

L
j'attend la suite avec une certaine appréhension. toujours ce sentiments de regarder sans autorisation ta vie, mais puisque tu l'écrit c'est que je peux alors je continue.<br /> tu es quelqu'un de très surprenant et je suis heureuse de te découvrir de cette façon, j'ai l'impression qu'il t'es plus facile d'écrire que de parler. si il te prend l'envie d'être plus direct, en conversation je parle, n'hésite pas.<br /> le K
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W
<br /> <br /> Tu as tout compris, K. J'ai toujours besoin de temps pour ruminer ce que l'on me dit, pour ne pas tout sentir comme une agression envers moi... il m'est donc plus facile d'écrire dans le calme<br /> d'un face à face avec mon clavier que de répondre en étant mal à l'aise face à quelqu'un... Je peux ainsi dédramatiser et ramener une conversation à sa substantifique moëlle, en retirer<br /> l'essence. C'est souvent dommage car je loupe ainsi de bons échanges et la richesse incomparable de la spontanéïté ; mais... that's life ! ... et surtout, je me soigne !...<br /> <br /> Je retiens donc ta proposition d'un façe-à-façe puisque nous cherchons tous deux à nous débarasser de notre désespoir tranquille pour accueillir la vie qui s'offre à nous...<br /> <br /> <br /> <br />