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27 janvier 2008 7 27 /01 /janvier /2008 11:15

Bordeaux, 27 janvier 2006

  Ca fait maintenant deux ans que je suis mis à disposition d'une autre institution. Je me suis éclaté à mettre en place une nouvelle organisation plus professionnelle et les choses marchent rondement. Malheureusement, le directeur en place qui m'avait donné carte blanche est parti prendre d'autres fonctions et son adjoint l'a remplacé et tout à dérapé. Jalousie peut-être de sa part ou besoin de s'affirmer, en quelques semaines l'ambiance s'est dégradé, mes fonctions réduites à peau de chagrin et il a monté contre moi le reste de l'encadrement.
  J'ai compris que mon temps était fini avec eux mais en attendant de retourner un jour dans mon administration d'origine, j'ai préparé une dernière organisation à mettre en place et ce matin, je suis avec un collègue en salle de réunion à mettre en place une grosse documentation à l'usage de l'équipe. Je suis content de m'occuper ainsi après les semaines pourries que je viens de passer !

    A midi, ma femme passe avec mon fils et ma petite fille nous dire bonjour. Lola dort à moitié dans sa poussette, profitant de son statut de bébé de huit mois.

  Vers 15 heures, je reprends ma préparation avec le même collègue. J’entends à un moment le téléphone du standard qui sonne et quelqu'un qui décroche puis au bout de quelques secondes quelques éclats de voix. Puis un cri : Zach ! Zach !

Je vois débouler dans la salle le standardiste et tout dans son attitude fait monter en moi une peur immense.

  - Zach, Zach, c'est ta femme, il faut que tu ailles chez toi ! Vite ! dit-il en bafouillant.
  - Qu'est-ce qu'il y a ? Quoi ?
  - C'et te femme, elle dit qu'elle a trouvé ta fille dans son lit et qu'elle ne respire plus ! Elle n'arrive pas à la réveiller ! Prend l'appel !"

  Je décroche le téléphone à coté de moi. J’entends ma femme hurler :

  - Elle ne se réveille pas ! Elle ne se réveille pas depuis 20 minutes ! Je l'ai trouvée la tête coincée entre le matelas et le bord du lit ! C'est pas possible ! C'est pas possible !

  Mon sang se glace dans mes veines, je le ressens physiquement. Immédiatement, mon esprit cartésien se met en place :
  - Tu as appelé les pompiers ?
  - Oui, ils sont là mais ils n'arrivent pas à la réveiller !
  - Et Lucas, il est ou ?
  - Dans le salon, il...
  - Prévient immédiatement tes parents, ils doivent s'en occuper ! Tu m'entends, immédiatement ! Toi, tu restes sur place, j'arrive immédiatement ! Tu as compris ?
  - Oui, oui...
  - J'arrive ! Je suis là dans dix minutes ! Je raccroche !

  Attirés par les cris, quelques collègues sont arrivés, immobiles comme des statues. Je cours à mon bureau, je ramasse mes clés et mes affaires de moto. Quelqu'un me propose de me conduire mais je réponds que j'irais plus vite en moto. Je crie à la cantonade que si me femme rappelle de lui dire que je suis déjà parti, que j'arrive, de la rassurer.

  En courant dans le couloir, je balance un coup de poing dans la porte d'une armoire qui se plie sous le choc. Je sais déjà qu'il sera trop tard, 20 minutes c'est trop long, trop tard, c'est impossible.

  Je suis tendu vers un but unique, absolu : rentrer chez moi au plus vite. Je roule compteur bloqué sur la portion d'autoroute qui me ramène chez moi, je brule les feux rouges, je passe sur les trottoirs pour éviter les files de voiture qui me freinent tout en essayant de ne pas avoir d'accident. Je gare ma moto devant chez moi, je vois ma femme en larmes au balcon qui se noue les mains, le camion de pompiers dans la cour, quelques voisins au balcon, je monte les marches quatre à quatre, la porte de l'appartement est ouverte ; d'un coup d'œil, je vois mon fils encore avec un anorak sur le dos, je lui demande comment il va et il ne sait pas quoi me répondre, je dis à ma femme de rester près de lui, je déboule dans la chambre et je vois....


l'enfer...                                 l'enfer...                                l'enfer...                                      l'enfer........


  Je vois ma fille de huit mois couchée sur le parquet, quatre pompiers et médecins autour d'elle ; elle n'a qu'une petite couche-culotte sur elle, un pompier lui fait un massage cardiaque, quelques compresses et autres instruments médicaux sont autour d'elle.

  J'ai encore mon casque sur la tête et je dis :
  - Je suis le Papa, qu'est-ce que je peux faire ?
  Un pompier se retourne et me répond :
  - S'il vous plait, sortez un instant, on s'occupe de votre fille.
  Alors je sors, je retourne dans le salon, je vais voir ma femme qui ne sait que répéter : "c'est pas possible, c'est pas possible... !", elle ne répond pas à mes questions. Je m'approche de mon fils et je reste près de lui quelques instants.

  Un médecin sort et vient me voir. Son visage est décomposé :
  - Monsieur, nous avons tout essayé... mais elle ne respirait plus depuis longtemps.... C'est fini... Je suis vraiment désolé. Il a les larmes aux yeux en disant cela.

  J’entends ma femme qui crie derrière moi, qui cire encore "c'est pas possible, c'est pas possible, noooooooon !..."
  - Monsieur, vous voulez venir d'abord ?
  Je hoche la tête, je regarde ma femme mais je comprends qu'elle ne peut pas bouger pour l'instant. Je rentre dans la chambre, un pompier et un médecin sont présents. Ils me répètent qu'il n'y avait plus rien à faire, qu'ils ont tout essayé. Ils me demandent si je veux la rhabiller, j’entends leur question comme si j'avais du coton dans les oreilles. Je regarde son petit corps couché par terre.

  Et je comprend, alors que mon âme et mon corps hurlent leur douleur et se consument dans les flammes de l'enfer, que le monde s'écroule littéralement autour de moi et que j'entend les cris et les pleurs de ma femme ; je comprend que c'est maintenant ou jamais, à ce point précis de l'univers où même le temps n'existe plus et toute vie a disparu que je vais devoir accomplir l'acte le plus héroïque mais aussi le plus effroyable qu'il soit donné à un homme : je vais remplir mon devoir de père pour mon enfant mort.

 

  Je prends délicatement son corps dans mes bras, je la love contre moi et je m’assois avec elle sur le lit. Je n’en peux plus de pleurer, je sens mon esprit partir à la dérive, se déconnecter devant tant de douleur. Il me revient en tête une chanson que je lui fredonnais le soir pour l’endormir que je commence à lui murmurer :

 

  - Somewhere over the rainbow… blue birds fly… and…

 

  Je passe ainsi de longues minutes dans la chambre avec elle. Un pompier silencieux est à coté de moi, je me retourne vers lui et lui demande d’appeler ma femme, il acquiesce silencieusement et l’amène. Elle n’ose s’approcher de moi, de sa fille et tord ses mains.

  Je lui demande de venir près de nous et finit par s’asseoir à mes cotés. Elle balbutie « mon bébé, mon bébé… » Mais n’ose la toucher. Je lui dis doucement que si elle le veut, elle peut la prendre dans ses bras. Elle dit non de la tête. Je lui réponds que ce sera la dernière fois qu’elle pourra le faire, qu’elle devrait une dernière fois l’embrasser, la cajoler, la tenir, qu’elle ne doit pas regretter plus tard. Elle finit par accepter et je lui transmets le plus doucement possible notre enfant. Je reste de longues minutes près d’elle puis je sens que je dois la lui reprendre. Elle sort de la pièce, la douleur est trop forte.

 

  Mes beaux-parents arrivent mais seule ma belle-mère ose rentrer dans la pièce, elle prend longuement sa petite fille puis me la redonne.

 

  Mes parents arrivent. Mon père va évidemment se conduire stupidement, comme d’habitude. C’est un ancien médecin, incapable d’exprimer naturellement ses sentiments. Il s’approche de moi et je le vois sortir un stéthoscope de sa poche. Il me dit qu’il voudrait écouter son cœur. Je lui interdis de s’approcher de ma fille pour le faire, je crie pour appeler mon beau-frère qui arrive immédiatement :

 

  - Fais-le sortir de cette pièce ! S’il te plait, fais-le sortir ! Je hurle en disant cela.

 

  Deux pompiers entrent, attirés par les cris. Ensemble, ils parlent à mon père et le font sortir. Je suis seul de nouveau. Ma rage devant sa bêtise s’estompe rapidement. Mon esprit égaré se focalise lentement sur ce qu’il me reste à faire. Je sais à cet instant que je dois agir en tant que père, que c’est à moi et à moi seul d’accompagner ma fille sur le terrible chemin.

 

  Je pose ma fille sur le lit et je prends dans l’armoire quelques morceaux de coton. J’essuie la petite trace de sang et de salive au coin de sa bouche. Je nettoie ses mains et son visage. Je prends de jolis vêtements et je l’habille doucement. Je la coiffe. Je finis par lui mettre des petites chaussettes et des chaussons. Je prends une petite couverture et je l’enveloppe dedans.

 

  J’appelle les pompiers pou leur dire que je suis prêt à les accompagner. L’un deux me propose de la porter mais je refuse. C’est mon rôle de père de la faire. Je ne sais pas quelle énergie me fait trouver la force d’accomplir tous ces actes. Je me sens transfiguré, je ne suis plus la même personne, je ne m’appartiens plus.

 

  Les pompiers préviennent les personnes présentes, j’ai la force de demander à ma belle-mère de bien s’occuper de mon fils et mon beau-frère de ma femme.

 

  Je reprends ma fille dans les bras, chaque pas, chaque souffle me semble insurmontable et pourtant j’avance.

 

  Je descends les trois étages de mon immeuble à pied, encadré par des pompiers inquiets. J’arrive dans la cour, à l’ai libre. De nombreux voisins sont là et regardent de loin. Le véhicule rouge des pompiers nous attend, portes ouvertes. Avant de monter, je sais que c’est la dernière fois que je verrais le ciel avec ma fille alors je m’arrête longuement devant les portes, je laisse une brise froide me caresser le visage, je respire à pleins poumons et je regarde les nuages dans le ciel, les arbres, les oiseaux qui volent. Après quelques minutes, je souffle un grand coup et je monte la première marche de l’ambulance, les dents serrées par l’effort que je fais. Puis le m’assois, ma femme et son frère à mes cotés.

 

  Nous roulons lentement jusqu’aux urgences de l’hôpital. Les portes s’ouvrent de nouveau et je sors. Je vois des gens autour de moi qui s’arrêtent et me regardent : ils ont compris en un regard. Le silence semble se faire. Je passe les portes coulissantes et je pénètre dans la salle d’attente. Je marche très lentement, encadré par les pompiers et incapable d’aller plus vite.

 

  Là encore, le silence se fait autour de nous. Les personnes présentes comprennent immédiatement. C’est le silence terrible devant l’inconcevable qui surgit devant eux, je peux presque sentir leurs cœurs qui se serrent en découvrant ce père au visage ravagé qui avance lentement au milieu d’eux, tenant son enfant mort dans les bras. On m’indique une entrée. J’avance et sur la gauche, une grande pièce semble m’attendre. J’entre. C’est une sorte de grande salle d’examen, avec des armoires remplies de médicaments et d’instruments médicaux. Il y a un grand lit d’auscultation au milieu. Je dépose son petit corps dessus. Je garde longtemps une main sur elle, comme si j’avais peur qu’elle ne tombe en remuant. Mais non, elle ne bouge plus alors je finis par m’asseoir sur une chaise le long du mur.

 

  Après un temps qui me semble infini, un pédiatre et une infirmière entrent. Le pédiatre nous demande de l’accompagner à son bureau pendant que l’infirmière restera avec notre fille. 

 

  Nous nous asseyons face à lui. Il a du mal à s’exprimer, ses lèvres se pincent avant de dire chaque phrase. Il m’explique enfin les circonstances exactes de sa mort telles que lui a décrites ma femme. Elle s’est retournée dans son sommeil et s’est retrouvé coincée entre le bord du matelas et de son lit-parapluie. Les pompiers ont constaté qu’elle avait eu une régurgitation qui avait certainement causé un arrêt respiratoire. Le pédiatre ne le dit pas clairement mais je comprends donc qu’elle est morte étouffée par sa régurgitation. L’horreur n’aura donc jamais de fin, la cruauté ne cessera donc jamais ? Après un moment de silence, il nous demande si nous voulons pratiquer une autopsie pour être sur des causes exactes de sa mort. Je laisse l’idée prendre en moi quelques secondes mais je réponds non. Le pédiatre ne dit rien et hoche la tête lentement. Il nous propose de nous raccompagner dans la salle où attend notre fille.

 

  Nous restons encore une heure, assis à coté d’elle.

 

  Puis le pédiatre revient et nous dit que nous allons avoir une chambre. Encore une fois, je prends ma fille dans mes bras.

 

  Une infirmière reste avec nous puis au bout d’un long moment, elle nous dit qu’il faut maintenant l’emmener à la morgue. Je demande à venir l’accompagner mais elle me répond que cela me fera plus de mal que de bien. Je soupèse longtemps sa réflexion et j’acquiesce. Je demande alors une paire de ciseaux qu’elle m’apporte. Je coupe 2 petites mèches de ses cheveux que je mets dans une pochette en plastique. Une autre infirmière entre et prend notre fille dans ses bras, je vois leur émotion et leurs yeux embués de larmes. Nous sortons dans le couloir.

 

  - Vous êtes sure que je ne peux pas vous accompagner ?

 

  L’infirmière se pince un peu les lèvres, échange un regard avec sa collègue et dans un sourire triste me répète que ce ne serait pas bien pour moi.

 

  - S’il vous plait, prenez-soin d’elle, murmure-je.

 

  Elles me le promettent. Nous les regardons partir dans le couloir. Mes beaux parents nous attendent et nous ramènent chez eux. Nous retrouvons notre fils gardé par mon beau-frère. Nous restons un long moment dans le salon. Peut-être qu’on nous parle, qu’on nous fait manger, je ne me rends plus compte de rien. Nous nous endormons d’un sommeil vide.

 

  Voilà, j’ai relaté les faits mais je n’ai pas parlé de ce que nous ressentions.

 

  Comment expliquer et trouver les bons mots ? Comment raconter l’enfer ?

 

  Quand j’ai reçu cet appel, j’ai compris immédiatement et une main géante a broyé mon cœur.

 

  Quand j’ai vu ma petite fille par terre entourée des médecins et des pompiers, j’ai perdu mon âme, aussi rapidement qu’un claquement de doigts. Comment on perd son âme ? C’est quand on découvre que le monde qui nous entoure, ce monde rassurant fait de petites joies et peines cache un autre monde, un monde parallèle, où rodent de sombres animaux aux dents aiguisées, où la mort règne en maitre, où les plus atroces souffrances sont le magma brulant d’immenses fleuves qui grondent sous nos pieds. C’est ça que j’ai vu dans cette chambre, j’ai vu un animal sombre qui plantait ses crocs dans le cou de ma fille et quand il a relevé la tête dans ma direction, j’ai vu ses yeux remplis de haine et de folie… et de plaisir.

 

  Je l’ai vu disparaitre une seconde après, mais j’ai compris à cet instant précis, qu’Il existait vraiment, qu’Il était là depuis toujours, qu’Il observait et que parfois, il bondissait dans nos vies pour en arracher une.

 

  Je crois que c’est Stephen KING qui a écrit cette phrase : « le monde à des dents et parfois il mange quelqu’un ». C’est exactement ça, personne n’est à l’abri ; il n’y a aucun critère de sélection, aucun destin. Et c’est ce qui donne toute sa puissance à l’Enfer.

 

  Quand j’étais dans cette chambre et que je tenais ma fille dans mes bras, j’ai cru devenir fou. Puis, à un moment, mon esprit à fini par divaguer et une idée à émergé et s’est imposé : puisqu’il n’y a plus rien à faire, puisque tout est fini, puisque l’horreur et la douleur m’entourent, puisque le monde est en flammes et que personne ne peut faire cet acte sacré à ma place, alors je vais l’accomplir. Je vais faire l’acte le plus grand et le plus terrible en même temps qu’il soit donné de faire à un homme : Je suis un père et c’est à moi et à moi seul qu’il advient d’accompagner ma fille vers sa dernière demeure. C’est mon devoir de père. Comment expliquer que j’ai accompli mon devoir de père ce jour-là et qu’aujourd’hui, j’en retire un grand sentiment d’apaisement ? J’ai fait mon devoir de père et c’est tout ce qui compte pour moi.

 

  Quand je suis sorti de l’immeuble avec ma fille dans mes bras, j’ai regardé en tremblant le ciel parce qu’il me semblait que je ne verrais plus jamais moi non plus la lumière du jour et une peur froide m’a envahi.

 

  Quand j’étais dans la chambre d’hôpital, mon corps était parcouru de temps en temps de petits tremblements et je sentais mon esprit se racornir, se rapetisser, mourir.

 

  Quand je suis rentré, j’ai eu l’impression que la fatigue de l’humanité entière s’abattait sur mes épaules comme Atlas portait le monde.

 

  Quand je me suis réveillé, il n’y avait plus personne. J’étais le dernier être humain sur terre.

 

 


 

Lendemain

 

  Qu’est-ce qui nous raccroche à la vie ? Quelle est la volonté qui nous pousse à avancer encore et encore ? L’envie ? Le besoin ? Non, c’est l’espoir. L’espoir d’une vie meilleure, l’espoir de vivre un jour de plus, l’espoir d’avoir de l’amour, l’espoir de voir ses enfants grandir. Sans espoir, à quoi bon vivre ? A quoi bon lutter ?

 

  Parfois, d’autres sentiments comme la haine ou la vengeance nous poussent mais ils ont une durée limitée de vie. La vengeance peut s’accomplir et il reste quoi après ? La haine fait de vous un fou ou un zombie et alors ?

 

  Parfois, c’est le quotidien qui vous pousse : se lever, se laver, se nourrir, parler, travailler. Mais le quotidien n’a pas d’âme.

 

  La haine, la rage, j’ai déjà donné. Ce sont de puissants moteurs qui m’ont longtemps accompagné. Ils m’ont parfois conduits aux portes de la folie mais ils ne mènent à rien, ils faut savoir s’en débarrasser au bon moment.

 

  La vengeance. Contre quoi ? Contre qui ? Parce que nous aurions du acheter un lit à barreaux plutôt que de laisser notre fille dans ce lit-parapluie ? Parce que le matelas était trop haut ou trop bas ? Parce que nous aurions du mettre de petits coussins pour la caler et l’empêcher de se retourner ? On peut tout accuser mais il n’y a pas de coupable, pas de faute. Nous avons toujours étés des parents attentifs, respectueux des règles.

 

  L’espoir. Je n’en ai plus. La mort de ma fille est l’acte barbare final de ma vie. J’ai lutté toutes ces années contre le sort, contre la fatalité mais là, ma rage a été soufflé comme un fétu de paille et j’ai mis en une seconde les deux genoux à terre, vaincu avant même d’avoir commencé à me battre.

 

  Alors, il ne reste que le quotidien, la routine. Le plus important d’abord : s’occuper de mon fils, être à ses cotés, ne rien lui cacher de notre chagrin ni de notre douleur mais lui montrer le chemin. Puis préparer l’enterrement avec ces scènes toutes plus terribles les unes que les autres : recevoir deux représentant des pompes funèbres, en choisir un, discuter les prix…

 

  Je garde d’eux un très bon souvenir, ils m’ont expliqué doucement que la mort d’un enfant représentait aussi pour eux aussi un moment terrible, inconcevable. L’un d’eux avait aussi perdu un enfant. Les deux m’ont expliqué qu’ils avaient pour usage de ne faire payer que les taxes obligatoires dans ces circonstances. Ils ont été patients et doux, j’ai été touché par leur  humanité.

 

  Puis il faut prévenir la famille, les amis. Hier soir, j’ai tenu à prévenir moi-même mon cousin. Après avoir été proches, nous nous sommes éloignés l’un de l’autre, Sylvie le supportant difficilement et moi suivant son avis bêtement. Et bien que lui annoncer la mort de ma fille soit la plus importante chose au monde à dire, j’ai eu envie de lui dire combien je regrettais que nous nous soyons éloignés, que je l’aimais beaucoup et que je souhaitais le revoir plus souvent car il me manquait. Il me répondit d’une voix atone qu’il serait là et que nous allions nous retrouver, il me le promettait.

 

  Puis il faut retourner au funérarium de l’hôpital. Malgré quelques demandes autour de moi, j’avais refusé l’Athanée plus spacieuse et présentable. J’ai refusé parce qu’il fallait payer l’Athanée alors que le funérarium était gratuit. Certains ont du s’offusquer mais comment leur dire que ce n’est pas une question d’argent, mais une question de philosophie. Comment leur expliquer ma vision sans leur parler de mon passé ? Comment leur dire que la meilleure façon de s’occuper d’un mort c’est d’abord de s’occuper des vivants ? Comment leur dire que le meilleur hommage à leur rendre est de vivre la vie dont ils ont été privés ? Comment expliquer que l’argent est pour les vivants et les pleurs pour les morts ?

 

  Ma fille est morte, elle n’aura pas de tombe, pas de couronnes, pas de petits anges en marbre, pas d’épitaphes grandiloquents. Je n’en ai pas besoin et ma fille non plus. Si elle pouvait me laisser un message d’où elle est, ne dirait-elle pas : « soyez en vie, vivez cette vie qui m’a quitté, j’aurais tant voulu rire, jouer, courir avec vous. J’aurais tant voulu des fous rires et des chansons, des câlins et des anniversaires, des noëls magiques et des grandes vacances à la plage. Vivez ma vie ».

 

 


 

Cimetière

 

  Dans la petite pièce, ma fille repose dans un petit cercueil blanc... Plusieurs personnes vont et viennent en silence la regardent une dernière fois. Juste avant la levée du corps, je fais diffuser une dernière fois la chanson « somewhere over the rainbow ». Je l’embrasse tout doucement sur le front et mes larmes tombent sur son visage. Je tiens à rester regarder les employés refermer le cercueil. Nous sortons pour commencer le convoi funéraire.

 

  Mon cousin arrête sa voiture sur le parking. C’est un jour pluvieux. Je sors comme au ralenti, je vois des dizaines de personnes qui font un large et silencieux demi-cercle autour de nous. Je fixe mon regard sur une femme mais je n’arrive plus à me souvenir qui elle est.

 

  Nous suivons le corbillard. Je hais ce mot. Arrivés devant l’emplacement, les employés en sortent le petit cercueil blanc. Ma femme pose longuement sa main dessus, toute à sa douleur. Moi je ne le touche pas. J’ai longuement caressé le visage de ma fille hier soir et une dernière fois ce matin. Maintenant, je n’ai pas besoin de toucher son cercueil.

 

  Les employés le hissent  dans son emplacement puis le scellent. On vient nous voir, nous prendre dans ses bras, j’ai la force de dire à quelques personnes de prendre fort dans leurs bras leurs enfants ce soir, de les embrasser, de leur montrer tout leur amour, de les aimer aussi fort qu’ils le peuvent.

 

  Puis nous reprenons le chemin de la maison. Mais avant de repartir, il a fallu que j’attende longtemps mes parents qui s’étaient perdus en chemin alors qu’il n’y avait qu’à se suivre su un petit kilomètre. Comme une farce morbide, ils n’ont donc pas été présents à l’enterrement et sont arrivés presque une heure après ; complètement perdus. Je n’ai même pas eu le moindre sentiment d’énervement ou de pitié pour eux. Non, rien, j’ai accompagné ma mère et laissé parler mon père qui commençait à citer de façon grandiloquente je ne sais quel auteur classique et c’est tout.

 

  Je crois que nous avons passé encore deux jours chez mes beaux-parents et nous sommes rentrés. Notre fils nous a rejoints le lendemain.

 

  J’ai fait emporter le matelas de ma fille aux encombrants pour que plus jamais un enfant ne dorme dedans. Nous avons enlevé ses affaires de la chambre de notre fils.

 

  J’ai du mal à me souvenir des jours qui ont suivi.

 

 


 

Travail

 

  J’ai repris le travail dix jours après. Mais sur le trajet, j’ai commencé à être pétrifié de terreur par ce que je voyais. Autour de moi, je voyais réellement, je dis bien réellement, un autre paysage : un paysage dévasté, des maisons en feu, des colonnes immenses de fumée noire qui obscurcissaient le ciel, des carcasses de voiture rouillées sur le bord e la route, des cadavres dans les champs et des corbeaux qui se repaissaient de leurs chairs. Comme si une guerre monstrueuse s’était déroulé la.

  J’ai tremblé de peur en serrant les dents. Quand je suis arrivé devant mon travail, la porte d’entrée en verre m’a renvoyé ma silhouette et je suis resté cloué devant, pleurant toues les larmes de mon corps. Puis Laurent, un collègue de travail et ami m’a vu, à ouvert la porte et a accouru pour me prendre dans ses bras.

 

  Les jours suivants se sont ressemblés : je travaillais comme un zombie et je pleurais souvent.

 

  Puis au bout de quelques jours, ce trou du cul de nouveau directeur est venu me voir, l’air ennuyé, accompagné de son adjointe. Depuis que l’ancien directeur de service est parti sur une mise à disposition d’un an, il est directeur par intérim. Autant l’ancien était sérieux dans son tramail et me laissait carte blanche, autant celui-là ne m’aime pas, certainement parce que c’est moi qui était préféré pour le poste mais comme j’étais moi-même mis à disposition de cette structure, mon statut ne l’autorisait pas. Et Trou du cul n’aime pas savoir qu’il à son poste par défaut.

  Il en a profité pour faire monter sa compagne aussi conne que lui au poste d’adjoint et tous la deux font du népotisme à tout crin. En trois mois, toute la cohésion du service a éclaté et les clans se sont formés. J’ai de mon coté ceux que j’ai formé et qui sont plutôt des grandes gueules. De l’autre, tout le reste du service qui suivent le nouveau chef, je ne leur en veux pas, ils ne veulent tout simplement pas d’ennui.

 

  Il s’assoit en face de moi et après quelques minutes de conversation creuse il me dit :

 

  - Zach ? Tu sais que Laure est en congé maternité depuis 3 semaines ?

 

  Laure, c’est le troisième larron du triumvirat avec monsieur Trou du cul et Connasse. Elle n’a pas pris la grosse tête, elle l’avait déjà et la petite prétentieuse ne manquait jamais une occasion d’étaler ses belles théories universitaires aux pauvres travailleurs que nous étions. Par contre, elle avait du sauter l’UV « au boulot, faut bosser ».

 

  - Oui, et alors ? Répondis-je.

 

  Il se frotte le visage de ses mains dans un geste familier, essayant de trouver la meilleure présentation possible.

 

  - Elle doit passer aujourd’hui à midi prendre un chèque et n’est pas au courant pour ta fille. Je crois que ce serait mieux si elle ne te voyait pas quand elle viendra. Tu comprends, elle est presque au terme de sa grossesse et il ne faudrait pas que la nouvelle déclenche des problèmes pour elle. Je te propose qu’on déjeune ensemble le temps qu’elle s’en aille et on revient après.

 

  Je réfléchis quelques secondes mais de toute façon, j’ai du mal à me concentrer. Oui, après tout, pourquoi pas ? J’acquiesce.

 

  Nous partons au restaurant. Mon collègue Laurent se joint à moi, pour ne pas me laisser dans les pattes de Trou du cul et Connasse.

 

  Au cours du repas, je commence à réaliser quelque chose : je me suis fait baiser. Comment se fait-il qu’on puisse me demander une chose pareille, de me cacher comme si j’avais une maladie honteuse ? Comment oser déconsidérer mon deuil pour « protéger » quelqu’un ?

 

  Voilà, j’ai un exemple parfait de la médiocrité humaine devant moi. J’ai juste la force de leur dire que je regrette d’avoir accepté, que ce n’est pas à moi de faire un quelconque effort, que je me sens déconsidéré dans mon deuil et qu’on ne m’y reprendra pas. Trou du cul et Connasse sentent bien qu’ils doivent se taire pour ne pas que j’explose. Le reste du repas est glacial et Laurent me surveille du coin de l’œil.

 

  Je retourne ensuite à mon bureau, écoeuré. Je n’ai pas travaillé, mes pensées naviguaient entre rage et désespoir.

 

  Un mois plus tard, Madame prétentieuse est rentrée. Elle ne m’a même pas présenté ses condoléances, juste demandé comment ça va. Le pire, c’est que justement les théories universitaires dont elle nous gave concernent toujours le sens de l’écoute et du respect de l’autre.

 

  Bel exemple de petitesse.

 

 


 

Les Autres

 

  Dans les mois qui ont suivi, j’ai découvert les Autres.

  Les Autres, ce sont d’autres parents qui ont perdu un enfant. Ils sont autour de nous mais nous ne connaissons pas leur histoire. Ils ne la cachent pas mais n’en parlent pas car même avec la meilleure volonté du monde, personne ne pourrait réellement comprendre ou avoir les bons mots ou les bons gestes. Alors, ils n’en parlent pas. C’est juste comme ça.

 

  Ce sont le vieux couple discret qui habite dans mon immeuble, la pharmacienne chez qui je prends mes médicaments depuis des années, c’est mon ami Laurent dont le fils s’est noyé à quatre ans dans une piscine, c’est une vague relation qui raconte son histoire car il connait la mienne.

 

  Ce sont parfois des personnages publics qui racontent leur histoire à la télé : Patrick Sébastien qui fait tellement le clown peut-être pour tenir une promesse faite à son enfant ou ce député PS dont je ne me souviens plus du nom qui parle du sien avec sobriété.

 

  Je fais maintenant partie de ce monde-là, de ceux qui savent ce qui ne doit jamais être connu, de ceux qui ont vu ce qui est invisible.

 

  Nous avons vu l’enfer, nous sommes morts et nous sommes revenus de parmi les morts. Nous sommes Légion et pourtant si seuls.

 

2006-01-20-lola.jpg 

 Pour Lola, née le 1er jour de l’été 2005, décédée un jour de février 2006

 

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23 octobre 2007 2 23 /10 /octobre /2007 09:23

 

Beyrouth - 23 octobre 1983 - 06h15.

  Il est un peu plus de 6 heures. Les premières lueurs du jour vont bientôt envahir l'horizon. La nuit s'est bien passée, j'ai pu dormir quelques heures et je viens de prendre la dernière relève.

  - C'était pas encore pour cette nuit, alors... me dit mon binôme, accroupi derrière son poste de tir.
  - visiblement non, dis-je. Mais ici, tout peut arriver n'importe quand.

  Je soupire de fatigue et change un peu de position. Je perçois comme une seconde de silence puis, juste après je sursaut en entendant une forte explosion au Nord. Immédiatement, j'arme mon fusil, j'enlève la sécurité, engage le mode semi automatique et me jette contre les sacs de sable. Je me relève un peu, l'arme au poing, calée contre mon épaule, visant la rue au loin.

  - Ca vient du nord, on dirait, crie mon binôme. Derrière moi, je sens l'agitation du poste, des hommes arrivent en renfort aux bunkers, des ordres sont données. Les radios commencent à crépiter puis les premières infos arrivent : c'est le poste de commandement américain qui est attaqué et un épais nuage de fumée monte maintenant de leur position.

  Nous sommes maintenant tous en alerte, les visages sont fermés, les ordres claquent, la tension est palpable.

  Et d'un coup, le bruit d'une énorme explosion retentit à quelques centaines de mètres de nous. Une seconde après, nous pouvons ressentir l'onde de choc.

  - C'est Drakkar ! Drakkar est attaqué !
  - Une patrouille et un VAB en reconnaissance. Sécurité maximum ! Autorisation de riposte à toute menace ! En avant !

  Je pars avec le 1er groupe en courant, le VAB suit derrière, nous protégeant de sa grosse mitrailleuse 12,7. A chaque croisement, des hommes se postent, arme à l'épaule pour assurer le parcours et nous reprenons notre course. Des civils sont sortis sur le pas de la porte et rentrent aussitôt dès qu'ils nous croisent et que nous les tenons en joue. Nous ne pouvons pas faire de détail, tout peut être mortel à cette seconde.
 
  Et au détour d'une rue, notre groupe s'arrête, une fumée obscurcit un peu le site du Drakkar et nous nous demandons même si nous ne nous sommes pas trompés de route : il n'y a plus d'immeuble. Nous nous approchons un peu plus et découvrons la triste réalité : le poste Drakkar a sauté et l'immeuble de plusieurs étages s'est écroulé comme un château de cartes. Mon sang se glace, ou sont passés nos camarades ? Sous ce tas de gravats ? C'est impossible !

  Le 1er VAB arrive et se met en position. Une partie d'entre nous fonce sur l'immeuble tandis que l'autre se déploie pour assurer un périmètre de sécurité.

  Et au milieu de la poussière, de ce chaos total, je vois apparaitre les premières silhouettes fantomatiques, hagardes, certaines sont couvertes de sang. Ils devaient être à l'extérieur du bâtiment. Je m'approche d'un premier homme, je ne reconnais même pas son visage boursouflé, plein de terre et de sang mélangés. Je le prends doucement par le bras, je l'observe comme si c'était un revenant, je lui dis de se diriger vers le VAB. Il me regarde sans me comprendre et je vois alors que ses oreilles saignent. Je lui montre du doigt le blindé, il met quelques secondes à comprendre puis commence à marcher vers lui de façon lente et hésitante. Je le regarde partir avec cette atroce impression de l'abandonner mais je dois continuer à avancer.
  Et je remarque alors quelque chose : les cris et les plaintes qui montent des gravats de l'immeuble. C'est l'horreur la plus totale et nous commençons à nous organiser par petits groupes pour évacuer les rares survivants. Puis nous continuons en essayant de regarder sous chaque dalle de béton, dans chaque recoin, sous chaque amas de ferraille et parfois nous tombons sur un corps sans vie.
  Il y a maintenant plus de monde sur le site. Du matériel roulant du 17eme RGP arrive sur place. Les survivants coincés dans les décombres sont maintenant repérés. Un premier tractopelle arrive. Nous avançons prudemment, l'immeuble est un château de cartes qui peut s'effondrer encore plus, écrasant les quelques survivants encore coincés.

  Je regarde mon groupe de combat : nous sommes tous maintenant recouverts dune pellicule de poussière grise et nous ressemblons à des fantômes, certains ont les mains et les bras tachés du sang de leurs camarades mais pas un ne craque. Sauver nos camarades avant tout. Puis le chef de groupe arrive et nous rassemble :

  - Vous prenez tous 5 minutes de pause, vous allez boire et manger, maintenant !
  - On ne peut pas, Chef, on ne peut pas, tant qu'on ne les a pas tous retrouvés ! On vient à peine d'arriver !
  Le sergent-chef regarde l'homme qui vient de parler et lui dit doucement en lui prenant le bras : C'est le soir, vous venez de passer toute la journée à chercher des survivants. Ca fait dix heures que vous travaillez non-stop. Il faut vous arrêter quelques instants sinon vous allez commencer à prendre des risques à cause de la fatigue. Allez boire, mangez un morceau, lavez-vous et reposez-vous si vous voulez continuer.

  Nous nous regardons les uns les autres, et dans le regard de l'autre, nous voyons notre propre épuisement, notre désespoir et notre rage. Alors, nous nous dirigeons sans bruit vers les véhicules de soutien.

  Arrivés sur place, mon binôme et moi regardons l'horizon et c'est vrai, le soir tombe. Pour nous, quelques minutes à peine se sont écoulées depuis notre arrivée. Il s'assoit par terre, le dos contre un muret et des larmes silencieuses roulent sur ses joues, traçant des sillons de poussière mouillée.

  Pendant quatre jours et quatre nuits, nous nous sommes acharnés à tenter d'extraire les derniers survivants, puis les corps de ce tombeau de béton. Les corps sont entreposés à la Résidence des Pins, notre ambassade. François Mitterrand y arrive le 24 octobre au matin, il se rend ensuite au Drakkar, regarde, écoute, ne dit mot. Il rejoint ensuite Noir1, la section de garde ce jour-là pour les saluer. Au final, 58 corps sans vie seront arrachés aux entrailles du Drakkar. Il y aura 41 survivants dont 15 blessés

  Après ces quatre jours, la colère gronde chez nous. Après le chagrin, la vengeance. Bruno -c’est l'indicatif du général Bigeard - arrive et nous demande de tenir bon. Cet ancien de d'Indochine au parcours incroyable à le respect de toutes les troupes parachutistes. Sa seule présence nous fait resserrer les rangs.

  Je ressors épuisé des ces journées-là. Je ne ris plus, je n'ai plus d'envie ou plutôt qu'une seule : rechercher les coupables, les combattre, les anéantir. Mais dans ce pays aux couleurs changeantes, comment savoir qui a fait quoi ?
  Je n'ai pas le moral à zéro, je ne déprime pas, je suis juste devenu un peu plus inhumain, un peu plus animal, un peu plus froid, un peu plus dangereux.
  Mon visage est devenu inexpressif, seuls mes yeux parlent, on y perçoit un regard froid, calculateur, indifférent.

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22 octobre 2007 1 22 /10 /octobre /2007 15:38

  Toute la journée c'est mal passée.
  La tension en ville est palpable. J'ai fait une patrouille ce matin dans Beyrouth, les passants commencent à filer devant nous, les regards sont fuyants. J'ai gardé tout le long mon fusil d'assaut dans mes mains, pret à viser. J'ai scruté les toits, les portes, j'ai observé avec attention chaque voiture qui passait. Les menaces d'attaque contre un poste français se sont précisées, les commandants de poste ont monté d'un cran l'alerte. Le poste "Escorteur", situé à 500 mètres du Drakkar a reçu des menaces d'attentat. Nos patrouilles ont donc essayé de repérer tout mouvement, hommes ou véhicules suspects.

  Notre groupe rentre fatigué nerveusement sur son poste quand la radio demande qu'une partie de la patrouille arrive en soutien sur un autre poste pour la nuit. Nous modifions donc notre parcours. Arrivé sur place, je me propose avec quelques camarades comme volontaires pour intégrer la section présente. Le chef de groupe donne son accord et reprend sa route.

  Les dernières lueurs du jour filent à l'horizon. Je sais que ce n'est qu'une question de jours avant les premières attaques, peut-être cette nuit.

  On définit les quarts de nuit, les dernières consignes, on contôle encore une fois nos positions, une mitrailleuse AA52 est montée en appui au 1er point de contrôle, on rajoute des chargeurs à notre brelage ; je nettoie mon arme avec minutie, je fais jouer la culasse, je vérifie chaque élément.

  La nuit est tombée, j'essaye de me concentrer en attendant mon quart mais se bousculent dans ma tête des images de ma vie, elles arrivent par flash, comme pour me rappeler quelque chose ou me prévenir. Images d'enfance, de rire, images d'adolescence, de mal-être, images des filles que j'ai connu ; cette belle brune rencontrée en boite de nuit à la frontière suisse et son regard si doux et envoutant, sa voix presque grave, lente mais déterminée, ses seins fermes et lourds...
  Elle m'avait montré quelque chose de moi, son calme devant ma rage, sa joie devant mon cynisme, son plaisir devant ma domination ; elle m'avait montré quelque chose de moi, elle m'avait montré celui qui était dans l'ombre et qui attendait. J'avais entr'aperçu un autre moi, mon vrai moi, celui qui pouvait éteindre le feu qui me dévorait, qui pouvait soigner mes tourments. Mais c'était encore trop tôt. Ma colère était encore trop forte.

  Mais quand même, en regardant tout à l'heure les dernières lueurs du jour, je me suis arrêté quelques secondes pendant lesquelles j'ai respiré profondément ; les traits de mon visage se sont détendus, mes épaules se sont abaissés et j'ai légèrement souri. J'ai ressenti brièvement un bien-être m'envahir, une délicieuse sensation de calme, de paix...

  Instant merveilleux dans ce monde en plein chaos.

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28 septembre 2007 5 28 /09 /septembre /2007 11:18

Anté-scriptum :
Pour cette partie de mon passé, je suis obligé de modifier et condenser certains énènements. Il n'y a doncpas lieu de croire exactement ce que j'écris, c'est simplement une écriture qui permet de mieux expliquer mon histoire.

  Le gosse traverse le boulevard en filant ventre à terre à 200 mètres devant notre patrouille, agrippant de trouille son fusil d'assaut Kalashnikov. Il est sorti d'un groupe d'immeubles en ruines pour en rejoindre un autre tou aussi dévasté. Deux coups de feu éclatent et aussitôt, 2 petits nuages de poussière jaillissent près de lui. Un troisième coup claque, un petit nuage explose encore plus près de lui. Il finit quand même sa course pour se planquer quand j'entend le double bruit d'un RPG : un long chuuintement "Pccchhh..." suivi du "BANG" de la roquette qui explose.

  - Qu'est-ce qui se passe ? Une attaque ? me demande mon nouveau ninôme qui cale déjà son fusil d'assaut à l'épaule, visant la direction du bruit.
  - Pas encore, dis-je en remettant mes jumelles dans leur étui. Ils ont envoyé un "lapin", souvent un gosse parce qu'ils courent vite pour servir de cible à un sniper. Il a tiré trois fois et ça a suffi pour qu'il soit repéré, ausitôt ils ont tiré dans sa direction avec un lance-roquettes pour se le faire. Et voilà. Maintenant, ils vont peut-être essayer une offensive pour récupérer l'immeuble du sniper.
  - Ah ouais, pas con...
  - Non, pas con d'envoyer un gamin à la place d'un adulte, ils courent plus vite ! Je ne sais même pas s'il voit que je suis ironique. Ce type est arrivé depuis une semaine à Beyrouth et le souffle brulant de la guerre perturbe déjà ses repères d'homme civilisé, le vernis mince de la civilisation s'est fissuré et apparait dessous le prédateur humain, sans méchanceté mais sans pitié.

  Beyrouth, c'est la mort qui a pris possession de la terre, c' est l'enfer surgi des profondeurs, c'est l'humanité condamné à souffrir , à s'entretuer sans cesse dans une ambiance de fin du monde au milieu de ruines. Des factions ennemies se battent pour une rue, un immeuble, un terrain vague. Les odeurs de mort, de cordite, d'incendies alourdissent encore plus l'atmosphère.
  Et parfois, l'absurde s'immisce dans le conflit : un taxi dépose 3 gaillards lourdement armés sur la ligne de front et repart aussi sec faire une autre course, un commerçant ouvre son échoppe et fume une cigarette en attendant un hypothétique chaland alors que l'aboiement grave d'une arme lourde montée sur un pick-up Toyota se fait entendre à quelques rues de là, un père et ses gamins poussent une brouette remplie de jerrycans d'essence, une ambulance passe en hurlant.

  Les milices sont des clans, des familles, des obédiences qui se partagent des zones d'influence dans ce grand capharnaum. Mais le plus étrange, c'est qu'au milieu de cette guerre vit encore toute une population qui s'agrippe à la vie, partagée entre désespoir, fanatisme et fatalisme.

  FMSB. Force Multinationale de Sécurité à Beyrouth. C'est la réponse des Nations-Unies à la demande libanaise pour maintenir un semblant d'humanité, pour garantir un minimum d'espoir à cette ville-martyr. Depuis un an, cette force militaire est déployée, les Marines américains ont leur QG près de l'aéroport, les forces françaises ont installés des postes aux principaux points stratégiques de la ville.

  Mais alors que la situation semblait se stabiliser, la mission de paix change de tonalité. la stade de l'interposition est dépassé. La France organise la livraison de matériel militaire aux forces armées libanaises et le département d'état américain autorise ses troupes à riposter à toute agresssion et à solliciter l'artillerie et l'aviation au profit de l'armée libanaise.
Contre son gré, la FMSB est entrainée dans la guerre libanaise. Depuis trois mois, les postes francais sont la cible de tirs d'artillerie et subissent des pertes humaines, 16 en tout. Les canons de l'US Navy ripostent contre les artilleurs druzes et syriens qui nous visent. Les super étendard de l'armée de l'air française décollent pour anéantir une batterie syrienne au-desus de Beyrouth.
  Les renseignements sur des risques d'attaque contre des postes francais deviennent de plus en plus précis et proches. La situation se tend, les civils n'osent plus nous parler, nous approcher, nous sommes devenus des cibles. Des véhicules suspects sont signalés et repérés.

  A ce stade, le commandement français se décide d'ouvrir un nouveau poste au sud de Beyrouth. C'est une position stratégique façe à la plaine des JHAH et un excellent observatoire à la bordure à la frontière des quartiers palestiniens.

  Tout proche à l'ouest, les quartiers maudits de Sabraa et Chatila, plus connus depuis un an suite au massacre commis par les phalanges libanaises envers des populations palestiniennes en exode. Une commission internationale évalue à 2000 le nombre de morts en deux jours.

  L'immeuble choisi comme nouveau poste était auparavant occupé par l'armée syrienne et une dépollution du site est en cours par le Génie français. Des éléments précurseurs sont aussi à pied-d'oeuvre pour préparer la logistique indispensable et la prise en charge du poste par des troupes parachutistes : la 3eme compagnie du 1er RCP basé à Pau.

  Les autres postes français ont tous des noms de code : Frégate, Aviso, Corvette, Kayak... correspondant à des types de bateaux. Pour ce poste, le commandement à choisi : ce sera le Drakkar.

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15 septembre 2007 6 15 /09 /septembre /2007 15:52

Nulle part - 1983

 


 

cette page est librement inspirée du livre de Jean d'Ormesson
"l'histoire du juif errant"
 tiré du chapitre
 "Essai de reconstitution stochastique d'un monologue intérieur d'Isaac LAQUEDEM"

 


 


Je vis je cours je marche Je respire Je pense Je fuis Je suis Un pas et puis un autre Je baise Je pense Je contrôle Keep control ne rien dire marcher marche ou crève tu vas crever je crie mon regard sur lui je vise je tire je lutte I fuck I screw No mercy J'avance Je pense Je résiste je pleure je tombe regarder se souvenir penser pourquoi Se relever Etre en rage rage folle tuer être tué Contrôler Drakkar ils sont morts je suis mort aller vers eux aller plus loin Kabalaa Les Pins chaleur et bruit avancer penser sable son regard mon innocence pourquoi être aimé avoir de l'amour se sentir aimé penser à l'amour ne pas en avoir Etre en manque je pense je baise je frappe je marche pour oublier je marche parce que je cherche Je regarde je veux voir Je veux qu'elle me donne Me donner Mon manque Je veux avoir Je pense je me souviens je dois me souvenir Bonjour Que c’est bon Je pense Je veux Je veux I fuck je baise je contrôle je le veux J'en ai besoin respirer sentir Avoir envie je veux Il faut Je regarde Hello je veux j'avance comprendre Alors je cours J'obeis aux ordres Je ne pense plus j'oublie I fuck her je bois je fume j'oublie je fais semblant Marcher dans le sable Pieds nus ou rangers Même sable Je voulais juste de l’amour Je voulais juste être dans des bras Zum andeken an Haine incroyable haine incroyable aime je hais les autres j'aime les autres je suis seul je suis solo marche ou creve poor men je veux I think qu'on m'aime je marche sinon je tombe je vis je…

… Je … Je me souviens… Je me souviens petit je me souviens la peur la solitude tout seul dans le grand appartement en attendant que mes parents rentretn à la maison, le manque d’amour la peur la solitude l’angoisse l’armoire-refuge l’armoire-noire l’armoire-cache l’armoire pour ne plus me voir l’armoire de mes parents leurs vêtements leur odeur l’attente les attendre tout seul tout seul dans le noir… la douleur la douleur  la douleur d’être seul… ne…

… ne plus être seul marcher avancer I fuck Je cogne j’ai trop à sortir j’ai mal je tourne en rond Je ne sais plus ou je vais Hello feel good Autriche blonde I fuck je veux son regard Je cherche son regard Quoi quoi dans son regard Je cherche Quoi Qu'est-ce que tu veux Ne me cherche pas Regardez-moi J'existe Pitié Trouver la paix sur cette plage sentir le sable je regarde encore Je ne trouve pas Je pars Je cours Je cours plus vite plus loin Ne plus penser avancer marcher trouver avancer trouver les réponses avoir posséder trouver avoir mes réponses trop de haine beaucoup trop pour moi Pourquoi si lourd Pourquoi moi je cherche chez les autres Hi girl  Elkir-ras Labes mes frères  Ou êtes-vous Plus de famille Plus de frères Perdu Ne pas avoir Ne plus avoir Avoir perdu…

… Avoir perdu ce merveilleux jour de juin, où, adossé à un platane, je rèvassais dans la cour de mon école, j’avais douze ans et au loin, l’air s’est mis à scintiller légèrement, j’ai regardé plus attentivement, et pendant une fraction de seconde, j’ai vu, j’ai vu la beauté du monde, comme si d’un coup, le voile tenu du quotidien disparaissait et me laissait entrevoir les couleurs de la création, je pouvais voir les mouvements lents de l’air emporter doucement d’infimes particules de poussière dans sa traine, j’entendais la sève des bois pousser et faire craquer les écorces, j’ai mis la paume de ma main contre le bitume de la cour, j’ai senti les vibrations de la terre, j’en faisais presque partie, tout était d’une netteté si intense, si irréelle, mon corps et mon esprit se sont mis à l'unisson de cet univers parfait, j'en faisais partie, j'étais dans cette unité, cette perfection, j'ai senti la chaleur du printemps et sa vigueur pénétrer mon corps … j’ai mis plusieurs minutes à retrouver mes esprits, j’étais rempli de bonheur, j’avais la vie devant moi, j'étais en paix pour la première fois de ma vie… Dans un dernier sursaut d'énergie, mon innocence d’enfant m’avait donné cet ultime et unique jouissance avant de disparaître à jamais,

 

Je… Je me souviens…

 

Ne m'abandonne pas…

 

Ma vie…

 

Je me souviens… oui… Je me souviens

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14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 09:30

Désert tchadien - 17h00

  Un pied s'enfonce dans le sable et comme un caillou jeté dans l'eau, fait éclabousser une myriade de grains dont une partie retombe sur ma pataugas et glisse ensuite en cascade entre chaque pli. Mais bien vite, le sable cède la place à un terrain rocailleux et je dois de nouveau faire attention à ne pas m'éclater une cheville.

  Yvon et moi avons laissé les véhicules depuis 20 minutes pour grimper une petite colline, tandis qu'un autre binôme attaque par le flanc est. Du haut, nous devrions avoir une vue dégagée sur l'azimut de notre objectif, ce pourrait être un bon point de regroupement ou de repérage pour nos troupes. Nous sommes à quelques minutes du haut de la colline quand nous commençons à entendre un échange radio :

  - Noir 3 à Autorité.
  C'est l'autre binôme qui appelle Vita qui est resté aux véhicules.
  - Ici Autorité, parlez.
  - Je repère une mechta à 500 mètres environ au nord-ouest de ma position. Noir 2 devrait l'avoir en visu plein nord depuis leur position.

  Noir 2, c'est nous. Vita va nous demander ou nous sommes alors avec Yvon on force le pas, on se met presque à courir au milieu de la caillasse.
  - Autorité à Noir 2.
  - Ici Noir 2 à l'écoute.
  - Vous avez entendu, Noir 2 ?
  - Ici Noir 2. Affirmatif. Nous sommes en position dans une minute…
  - MAGNEZ-VOUS LE CUL, NOIR2 !
  Quel sale con. Il n'a qu'à grimper avec nous.
  - Ici noir2. Affirmatif.
  - Noir 2 à Autorité.
  - Ici Autorité, parlez.
  - Je compte un véhicule Toyota garé derrière le bâtiment. Pas d'identification possible pour l'instant. Quelques secondes de silence...
  - Autorité pour Noir 2, bien reçu. Restez sur place pour l'instant.

 Aïe. Il va réfléchir. Avec son mini-cerveau, on risque d'en avoir pour un moment. Mais je me trompe car quelques secondes après, j'entends Autorité demander au binôme Noir3 d'approcher pour une reconnaissance.

  Encore une fois, Vita se plante ; l'autre binôme approche complètement à découvert et en aveugle : qui nous dit qu'il n'y a pas un transport blindé planqué avec le Toyot' ? Et on fait quoi, avec notre Milan laissé dans les véhicules s'ils se font repérer ?

  A 5 mètres sur ma droite, je vois du coin de l'œil Yvon enlever le chargeur de son Famas et le remplacer par un PCL puis mettre une grenade à manchon en bout de canon. Puisqu'il se place en grenadier, je sors donc pour moi un deuxième chargeur de 30 cartouches et le pose délicatement à mes cotés. Notre binôme est maintenant opérationnel.

  Je vois Noir 3 progresser, il quitte la rocaille de la dune protectrice et avance sur le plat, lentement, le dos courbé, l'arme pointé.
  Leur situation est maintenant complètement à découvert. Je reprends mes jumelles et écarquille les yeux pour repérer le moindre mouvement à l'intérieur ou une ombre qui se dessinerait à l'angle du bâtiment.
  - Noir 2 pour Noir 3, couchez-vous ! ne bougez plus !
  Je viens de voir dans l'embrasement de la porte la silhouette d'un soldat GUNT se profiler. Il s'étire et baille. J'en déduis que l'équipage du Toyot' vient de finir une sieste et qu'ils vont reprendre la route pour rentrer car ils osnt étonnamment loins de leurs bases. Je regarde Noir3. Ils sont couchés et ne bougent plus, à 100 mètres à peine de la mechta. Ils sont au milieu d'une sorte de cuvette et avec un peu de chance, invisibles depuis le bâtiment.
  - Noir 2 pour Noir3. ne bougez plus, vous êtes dans un creux de terrain et les GUNT ne vous voient pas. Ne bougez surtout pas.
  - Noir 2 pour autorité.
  - Ici Autorité, faites un rapport.
  - 
Un GUNT sort. Non, deux maintenant… trois… J'attends quelques secondes avant de reprendre la parole.
  - Ils sont au complet, visiblement. Ils discutent devant le bâtiment et vont certainement rejoindre leur véhicule et partir. Je viens de repérer la trace des pneus qui devait venir du nord-ouest. Ils ne vont pas voir Noir 3 s'ils repartent dans la même direction. J'informe Autorité.
  - Autorité pour Noir 2. Personne ne sait dans quelle direction ils vont partir !
  - 
Noir 2 pour autorité. Ils sont trop loin de leurs lignes et la nuit tombe dans deux heures. Ils font forcément demi-tour.
  - 
Autorité pour Noir 2, je vous donne l'ordre d'ouvrir le feu sur l'ennemi, le risque est trop important pour Noir 3.
  - R
épétez, Autorité. Je suis incrédule, notre mission de reco' se transforme en champ de tir, notre survie est compromise si par malheur nous sommes repérés !

  - 
Autorité pour Noir 2 : ordre de tir sur l'équipage ennemi. Confirmez.
  - 
Noir 2 à autorité : je confirme.
  - A
utorité à noir 3 : Après le premier feu, vous ouvrez le feu en couverture.
  - Noir3 à autorité : affirmatif. Le sens de la hiérarchie prend le dessus. Je jette un œil à Yvon et je vois ses lèvres remuer : "c'est un con !". Puis il me pointe du doigt pour me dire qu'il est prêt et qu'il attend mon feu.
  - Autorité pour Noir 3 et Noir 2 : pas de tir ni grenades sur les véhicules. Nous devons essayer de récupérer des cartes ou des infos.
  J'entends Yvon étouffer un "merde" et je le vois enlever à toute vitesse sa grenade à manchon de son fusil et remettre un chargeur plein.
  J'estime la distance entre le groupe et le 1er type. Je choisis mon point de premier tir puis mon deuxième. Je m'aperçois d'un coup que ma langue a gonflé dans ma bouche, pour me calmer, je respire un grand coup et me concentre sur les trois silhouettes qui se rapprochent lentement de leur véhicule.
  Je passe mon doigt dans le pontet et pousse la sureté de sélecteur de tir. A la moitié de ma deuxième expiration, je descends ma ligne de mire jusqu'à la poitrine de la 1ere cible. Elle porte une veste léopard et son AK-74 est dans sa main gauche. Il parle aux autres avec des gestes de la main droite.

  J'appuie doucement sur la détente.
 
  CRAAA-AC ! Énorme aboiement de mon arme, en même temps, un sifflement s'installe dans mes oreilles. A peine le temps de voir ma cible touchée que je vise la deuxième. Elle est comme figée de surprise, son dos s'est juste vouté comme si elle s'attendait à recevoir un coup sur la tête. Attitude instinctive de protection… Elle regarde son équipier à terre. Je vise. Je tire. La troisième cible fait demi-tour vers la maison mais une rafale courte d'Yvon la fait trébucher à l'entrée.

  - Noir 2 pour Noir3. 3 cibles à terre. Vous pouvez avancez. Nous restons en couverture. Confirmez, Noir3.
  - Noir 3 pour Noir 2, je confirme. Nous avançons et vous nous couvrez.

  Je vois le binôme avancer par course alternée vers la mechta : quand le premier avance de quelques mètres, le deuxième assure sa protection et après ils inversent. A l'entrée de la mechta, ils dégoupillent une grenade of' qui fera plus de bruit que de mal. Ils la jettent par une fenêtre. Un bang métallique éclate. De la poussière et du sable sont soulevés par la détonation. Noir 3 s'engouffre à l'intérieur. Tout est fini. Je viens de tuer pour la 1ere fois. Mon dieu, et quoi d'autre, maintenant ?

  - 
Noir 3 pour Noir2, bâtiment sécurisé.
  - Noir 2 pour noir3, on arrive.
  Je dégringole la colline à toute vitesse. Même si le périmètre est sécurisé, nous devons maintenant nous dépêcher : personne ne sait si nous avons été repérés ! Le temps est maintenant notre nouvel ennemi.
  Par le Sony, Vita nous prévient qu'il arrive avec les véhicules.
  Je rentre dans la mechta... Alors que mes yeux s'habituent à la pénombre, je comprend que Vita nous a forçé la main, il a mis exprès à découvert 2 hommes pour que nous soyons obligé de faire feu. Il aura beau jeu de dire que c'était notre faute, que nous n'avions pas assez monté cette saloperie de coline assez vite, que nous n'avons pas prévenu assez vite, que nous avons pris les mauvaises décisions. Il nous tient. Mais il ne dira rien car je le tiens aussi. c'est un jeu à somme nulle. I

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12 septembre 2007 3 12 /09 /septembre /2007 08:29

Désert tchadien - août 83

  Yvon revient, lorgnant mon quart où fume un déca' – un vrai café me rend vraiment irritable – pour juger de mon degré d'éveil et entamer une discussion. Satisfait de l'enquête, il pose sa boite de ration sur la table, au milieu de son brelage, s'assoit sur le tabouret voisin et attaque :
  - Tu veux une chocolatine ou un quatre quarts ?
Il se rend compte que la question est encore trop complexe pour moi et décide bravement de me filer un de ses pains au chocolat.

  Une ½ heure et un pain au chocolat plus tard, repu et équipé de ma tenue TAM, mon fusil d'assaut en bandoulière, canon pointé à terre et chargeur engagé, je sors avec Yvon pour notre quotidienne et matinale promenade digestive. Il n'est que sept heures du mat' mais déjà le soleil tchadien commence à bouffer l'horizon de sable et nous délivre un message clair : "planquez-vous, j'arrive !".
On croise les autres sections de la compagnie qui finissent leur footing. Nous, on s'en fout, notre groupe part en patrouille tout à l'heure.
  Vita s'arrange cette fois-ci pour croiser notre route et nous lance un rappel " rassemblement 07h30 ("... à zéro sept zéro zéro..."), alors trainez pas… " et nous répondons d'un "…firmatif, mon lieutenant !" et tout va bien, Vita à fait pêter son grade, nous, on a joué le jeu et il s'en va presque en courant, soulagé de notre bonne volonté. Il a juste croisé mon regard pendant un instant et a lu mon mépris envers lui.

  Nous arrivons tranquillement vers nos véhicules, à la lisière du camp. Yvon en profite pour fumer une goldo, la quatrième depuis son réveil. Arrivant du village, je vois se dessiner la silhouette de Goya, notre contact
tchadien, qui revient de sa 1ere prière faite avec les villageois du bordj. Il nous a vu et vient à notre rencontre, sans se presser. Il s'arrête devant nous et descend la partie de son cheiche qui lui recouvrait le bas du visage, dévoilant un peu plus des cicatrices sur ses joues, un visage grêlé. Son regard en amande, d'une beauté certaine, et des dents plus blanches que la neige contrastent avec cette tête ravagée. Comme tous les militaires tchadiens, son équipement est une vraie liste à la Prévert : treillis dépareillé, vieux pantalon guépard francais, veste camo désert américaine, brelage chinois et fusil d'assaut AK74, version chinoise aussi me semble t'il.

  - Salam alekhoum ! Salut, les guerriers, on va faire la chasse, aujourd'hui ? Yvon rigole et lui répond :
  - Alekoum salam, Goya, le bien avec toi. Il effleure la paume de la main que nous tend le tchadien, à la façon des nomades. T'as tout compris, Goya ! on essaiera de trouver une gazelle à tirer pendant la patrouille et tu pourras faire un bon repas pour le village.

  C'est notre petite tradition, à chaque sortie, on essaie de shooter une bestiole pour la ramener au village proche, ça entretient les bonnes relations.
  - Le vieux, il te propose le thé, me dit Goya.
  - C'est trop juste ce matin, Goya, on doit partir maintenant. Mais à notre retour, on viendra le prendre avec lui et on apportera quelques rations.
  - Alors allons nous préparer, les guerriers ! Goya rigole en nous disant cela. Pour lui, les patrouilles, c'est l'occasion de se faire de l'argent et des gazelles ! Le transall est arrivé tout à l'heure et si Dieu le veut, il y aura à manger pour tous, et peut-être du matériel pour le village !
  Je souris en entendant celà, le matériel, ça peut être aussi bien un seau pour aller prendre de l'eau au puits, une trousse de soins ou quelques outils...

  La patrouille se rassemble près des véhicules : 1 GMC et un Toyota.  Vita dispose son groupe en cercle aoutour de lui, il a posé la carte par terre, plaquée par des cailloux aux quatre coins.

  Passation des ordres et consignes, vérification des cartes et des fréquences, boussole sortie, check du matériel, vérification des armes, dispatch des fonctions, nous sommes prêts. Cette fois-ci, nous traçons un azimut plein nord sur 150 kilomètres pour faire une cartographie de la région, notre but : repérer les axes probables de passage des forces GUNT et libyennes pour optimiser le temps de réponse de nos forces aériennes. Ce boulot en aparence tranquille est essentiel : sans repérage, une colonne de blindés et toute sa logistique peuvent nous passer sous le nez et nous étriller sévèrement ! Cette phase préventive est donc essentielles mais sensible : une patrouille de notre taille n'a aucune force de frappe face à l'ennemi ; notre mobilité et notre discrétion sont nos seuls atouts.

  Goya monte dans son Toyota et prend le volant : Yvon se met à coté de lui et je monte derrière. Dans le GMC, Vita se cale à coté du conducteur et le reste de notre petite patrouille monte à l'arrière. Nous voyageons léger : 7 hommes et Goya. Le GMG transporte deux bidons d'essence supplémentaires, des cubis d'eau, du matos de rechange pour les véhicules et un poste de tir Milan conditionné dans sa malle de transport pour accrocher un blindé : il faut ça pour tenir deux jours dans le désert.

  Nous quittons le camp. Je m'accroche aux poignées, histoire de ne pas me faire casser la colonne par cette mécanique infernale qui transforme une simple balade en rodéo. Le fait qu'une lame-maitresse du 4x4 soit cassée y est certainement pour quelque chose patrouillemais Goya n'a pas eu le temps de la réparer. J'ai calé mon Famas sur ma poitrine et mon P13 entre mes jambes tandis que le Sony reste précieusement sur ma poitrine, dans une sacoche de mon brelage. Le P13, c'est une grosse radio mili, robuste mais limitée tandis que le Sony est nettement plus performant mais plus fragile, cette double sécurité en matière de communication est une assurance-vie. Mon barda est à terre, entre mes pieds, et petit à petit je me laisse aller à une semi-torpeur, entre le ballotage de la piste et la chaleur qui monte. Yvon a juste un peu tourné la tête pour vérifier que j'allais bien, j'ai parfois un peu la gerbe en voiture, ce qui est un problème pour le boulot !

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11 septembre 2007 2 11 /09 /septembre /2007 11:33

Tchad - Désert - mise en place - août 83

Ante-scriptum :
Il y a très longtemps, j'ai vécu une autre vie, parfois brulante et sauvage, parfois dure et froide, souvent incroyable, quelquefois tragique, mais toujours, toujours exigeante. C'est une partie importante de mon vécu, non en temps mais en action. Elle explique, à mon sens, une partie de mes pensées et actions actuelles. Elle dirige un peu mon comportement d'aujourd'hui, elle influe sur ma personnalité. Elle m'a sauvé et a failli me perdre.
PS : pour une lecture plus "smooth" du blog et garantir mon anonymat, j'ai un peu compilé cette partie, revisité le temps et les lieux mais au final, c'est quand même ma véritable histoire.
 

   Comme chaque vendredi, ma tente militaire ressemble un peu plus à une ruche que d'habitude. Parce que le vendredi, ça arrive ! le ravitaillement par un gros Transall qui fait sa rotation magique ! de la bouffe, à boire, des nouvelles, du matos, du sang neuf ! La toute-puissance de notre civilisation qui débarque dans un vrombissement d'enfer, des odeurs de kérosène brulé et le souffle des puissantes pales des deux moteurs, qui éparpille sa marchandise sur la piste, tranportée par quelques fenwicks rapides et précis jusqu'aux hangars ; alors qu'au loin quelques ouvriers de l'aéroport en bleu de travail regardent placidement toute cette agitation.

  La plupart des hommes de mon groupe de combat sont déjà levés mais chacun s'occupe différemment : Le grand Guy prépare méticuleusement son paquetage sur son lit de toile et vérifiera de nouveau tout dans 5 minutes avant de s'équiper, c'est son antistress du matin.
  J'ai un binôme qui prépare un quart de café  sur un bleuet et qui ne jure pour son petit déjeuner que par ses terribles petits gâteaux carrés et secs comme un coup de trique mais qui vous épongent un demi-litre de café en une seconde dès que vous les trempez dedans. Quand aux autres, ils traînent entre petit déjeuner et toilette avec une bouille endormie en allant au café ou se raser.

  Pour l'instant, j'ai faim. Je me lève donc de mon spartiate lit  de toile et me dirige - c'est un grand mot - vers notre salle à manger :
  Deux tables centrales de planches et tréteaux passés au vert kaki dans cette tente militaire de 10 lits, 5 à gauche, 5 à droite. Entre chaque, une cantine mili et une sorte de chevalet de bois où l'on pose armement, treillis et brelage.  La nuit était fraîche mais de minute en minute, la température monte. En passant, je récupère la cafetière qui commence à bouillir et la pose à coté d'Yvon, déjà installé.
  
  Yvon, c'est un gars du nord. Grand et voûté, plutôt fin, blond aux yeux bleus, bleus délavés - "bleus fatigués", il dit -, un air bon enfant, des fois un rien boudeur. C'est un grand fumeur et un gestuel : il ponctue ses paroles de grands mouvements des bras et si je marche assez longtemps à coté de lui, j'ai statistiquement droit à une brulure de cigarette... malgré mes coups de gueule !

  Yvon, c'est aussi mon frérot. On n'est pas frères, évidemment, mais c'est quand même mon frérot. C'est un truc de militaire, ça ne se discute pas. Quand on partage autant de coups durs, de sueurs, de larmes pour tenir dans nos missions, ça fait se resserrer les rangs... j'ai deux autres frérots : Lionel est à Beyrouth pour la FMSB avec une compagnie de son régiment, le 17ème RGP et le grand Olivier s'entraîner une fois de plus dans un de ces stages que lui seul arrive à dégotter ! Cette fois-ci, un stage de déminage, il me semble... dans un régiment de la biffe, vers Mulhouse.
  
  Tous les quatre, nous venons du même coin du jura. Avant de partir m'engager, j'ai fait une préparation militaire parachutiste de quinze jours vers Lyon. C'était sympa, on recevait des rudiments d'enseignement militaire et surtout on pouvait faire quatre sauts en parachute en s'éjectant d'un vieux Noratlas qui avait du connaître l'Indochine.
  C'était une des plus belles périodes de ma jeune vie : j'étais sorti de l'enfer de ma jeunesse pourrie, je commençais à découvrir et à m'ouvrir au monde, je me sentais fier d'appartenir à un corps d'élite, de m'approprier des valeurs comme l'amitié, le partage ou le dépassement de soi.
  Pour l'instant, je sens la présence d'Yvon à coté de moi et cela me rassure. Je peux m'éveiller en paix, l'un veille sur l'autre et cette simple certitude me rend aussi heureux.
  Puis, comme d'habitude depuis maintenant trois semaines, je reste un instant assis sur mon tabouret, la tête rentrée dans les épaules, les mains jointes entre mes jambes serrées, les yeux vaguement fixés sur la table, histoire de me remettre les idées en place. Je suis du soir, pas du matin. J'ai besoin de ces premières minutes de repli mental pour démarrer correctement la journée. Je respire doucement mais profondément les odeurs matinales : humidité des corps trop enroulés la nuit dans leurs duvet pour se protéger du froid et en sueur dès l'aube, le sable et la terre qui rendent leur rosée, café et nourriture diverses, after-shave, odeur des treillis, graisse des armes…

  Mon rêve de cette nuit passe encore en morceaux épars dans mes souvenirs : des cailloux qui traversent le ciel… une forme féminine que j'observe, inerte mais follement désirable, parfois des petites lueurs tremblotantes qui s'en échappent..
  
  Ca fait déjà deux goldos qu'Yvon fume sous mon nez et je commence à faire la tête. Il sait pourtant que je ne supporte pas ça ! Surtout si je n'ai pas encore bu mon café ! De toute façon, il vient de me jeter un coup d'œil en coin et a vite compris : lèvre supérieure retroussée du coté gauche, sourcils froncés et yeux en amande ; ce sont des signes qui ne trompent pas chez moi : je suis à deux doigts du coup de gueule ! 

  Il se lève, sort de la tente et va finir de suçoter sa goldo dehors, pieds nus dans le sable, juste vêtu de son short mili, sa grande carcasse face au soleil levant avec pour fond sonore les bruits des gamelles, la radio de la tente d'à coté qui braille ses infos aux auditeurs encore comateux, les onomatopées de Goya, notre homme de liaison tchadien.

  De ma place, je regarde la silhouette d'Yvon, de dos, et je repense à notre arrivée en pays tchadien… J'ai rejoint une compagnie qui partait de France pour le Cameroun début août 83. C'est une spécialité française de grossir les compagnies qui partent par des renforts d'autres régiments : ça s'appelle "cannibaliser" ou "engraisser" une compagnie suivant le coté où on se place…

  Toute la 11 division parachutiste était au moment de mon départ en alerte "guépard", véritable phase "oui-non" pour entrer en conflit armé. A 3500 km au sud de la France, une garnison de gouvernementaux tchadiens dans une petite ville nommée Faya-Largeau, un bourg de semi-nomades, se faisait étriller par un pilonnage d'artillerie à l'est, largage d'hommes et matériels au nord et attaque mécanisée à l'ouest. Le repli des survivants s'est effectué dans un désordre total. Les Mirage F1 libyens harcelaient les fuyards, appuyés par de redoutables et énormes hélicos MI24, véritables tanks du ciel, sur blindés et armés jusqu'à la gueule...
  Muammar KHADAFI, président de la Jilahiya libyenne à ce jour-là le Tchad à portée de main. Il décide pourtant d'attendre une hypothétique contre-attaque et s'installe à Faya-Largeau. A Paris, l'opération Bernacle est lancée : occuper le terrain, même à un contre cent, espérant stupidement que Kadhafi n'oserait jamais lancer ses troupes contre les armées françaises !

Post-scriptum :
Pour ces dernière phrases et expliquer une situation géopolitique, j'ai repris quelques lignes du livre du colonel Spartacus : opération Manta. 

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8 juin 2007 5 08 /06 /juin /2007 18:00

1981 – sud de la France

 

  Je tâte ma pommette gauche de la main : rien de cassé.

 

  Je me regarde dans la glace de la salle de bains : un petit bleu commence à apparaître mais j’ai évité le coquard… ca fait chier mais ça va… Mon propre regard m’accroche dans la glace, je m’y plonge…

 

  Enfin une perm après plus de 3 mois de boulot ! Le rythme était vraiment crevant cette fois : manœuvres et des entrainements comme s’il en pleuvait et pour finir stage d’entrainement commando au centre de Montlouis. J’en suis sorti complètement naze.

J’ai donc pris le train avec un double sentiment : le plaisir de revoir ma famille, mes potes et mes frérots pendant une semaine ; la rage froide d’en avoir tant bavé, accentué par le conditionnement militaire.

 

  C’était dingue comme j'avais changé depuis que je m'étais engagé : j’étais un gosse pataud, timide, ignorant et j'étais devenu sur de moi, dur, froid, distant, observateur, opportuniste. Et pourtant, sans comprendre pourquoi, un feu de rage et de colère brulait dans mes tripes et me torturait sans cesse. Je le sentais grandir comme la folie peut ronger une âme, comme un cancer dévore les chairs, les nerfs et les os. Je ne savais pourquoi, je le sentais seulement se nourrir de sentiments inconnus,  profonds, fertiles, puissants.

 

  Pour partir en perm', certains préféraient se mettre en civil, moi, je faisais partie de ceux qui assument et provoquent : j'étais toujours en tenue de sortie. Pantalon et chemise beige clair, cravate marron, brevet parachutiste et commando, galon, fourragère à l’épaule, losange de mon numéro de régiment sur une manche, sigle de la 11eme DP sur l’autre et surtout mon béret rouge des troupes parachutistes sur la tête.

 

frerots  J'avais fait le soir même une beuverie chez les frérots, on s'était rencontrés à une préparation militaire parachutiste : une sorte de stage avant l’armée. Depuis, on se quittait plus. Coup de bol, tout le monde avait eu la perm au même moment, on allait relâcher la pression.

Le lendemain soir, c'était samedi : sortie en boite de rigueur. Avec mon crane rasé et cette façon toute militaire d’agir, j'étais reconnaissable à 100 mètres. J’attirais les antimilitaristes et certaines filles comme un aimant.

  Les filles, j'avais vite appris à reconnaître celles qui m'attiraient : elles n'étaient pas innocentes, elles savaient ce qu'elles cherchaient, elles n'avaient pas peur. Mais moi, je cherchais quelque chose qu'elles ne savaient pas, j'avais un don pour ça, je cherchais ce sentiment d'orgueil mal placé qui entraine si souvent les humains à ne pas savoir s'arrêter. C'est ça, ce que je cherchais, la fille qui serait trop orgueilleuse, trop fière pour dire stop par peur de passer pour une conne. C'était ce "trop" que je voulais.

 

  Celle-là m'a plu dès que je l'ai vu : trop aguicheuse, trop sure d'elle, trop de décolleté et de mini-jupe : ces petits "trop" qui basculent la belle fille sensuelle en pouffiasse.

  Je la veux, je l'aborde, j'écarte gentiment son copain, je la regarde droit dans les yeux, je lui parle, elle me répond, petit à petit je réussis à l'emmener au bar, puis retour sur la piste de danse. Mon regard se fait alternativement doux et rieur puis froid et carnivore, ça lui plait, je charme d'un coté et je domine de l'autre, bon mélange pour ce genre de filles.

 

  Je lui propose de partir, elle est d'accord. On récupère nos affaires aux vestiaires, on se dirige vers sa voiture. Sur le parking, son copain nous rejoint, accompagné de deux mecs. Les frérots sont dans la boite mais je sais qu'ils ont vu le type me suivre, je suis sur que l'un d'eux est en train d'observer la scène par securité même si je ne le vois pas. Le type de la fille lui parle, lui demande de ne pas sortir avec ce con de bidasse, la fille ne sait comment se débarrasser de lui, elle a vu dans mon regard la promesse d'une nuit intense et la veut.

  Je dis à son ami de laisser tomber, de jouer ailleurs. Il est vexé. C'est bien, encore une petite provoc' et il démarrera : je le tape légèrement de la paume de ma main sur sa poitrine, surpris, il trébuche et manque de tomber en arrière, il sait qu'il est ridicule, il n'a pas d'autre solution et me lance son poing dans la gueule. C'est un petit civil, il n'a pas l'habitude et son geste est trop court, alors je recule et tourne juste un peu le visage, son poing me touche la pommette mais sans violence. La seconde d'après,  il se jette sur moi. coup de poing

  Ils font tous pareil ! Ma main se place sur son cou à la base de la mâchoire et le serre entre le pouce et l'index, l'autre main tire son bras, je pivote un peu, il est déséquilibré, il tombe. Je pose mon genoux sur sa poitrine et je lui dis : "laisse tomber, maintenant, d'accord ?" Sans souffle avec la violence de la chute, sans pouvoir respirer avec ma main qui broie son cou, il étouffe, il me regarde, éperdu, il cherche de l'air, il gigote un peu mais il finit par secouer la tête pour dire oui. Je le relâche, il se relève. Pour ne pas le relancer, je monte vite en voiture avec la fille et on se casse. Quel con !

 

  Sur le chemin je regarde la fille, je la regarde comme une proie, je fais un scénario de la soirée, j'évalue son point de rupture…

 

  On commence à baiser, elle est comme je le pense, elle baise pour me prouver qu'elle vaut le coup, alors je baise. Puis, comme d'habitude, je deviens beaucoup plus directif, je l'immobilise de plus en plus, ma main se plaque sur sa poitrine, sur son dos, autour de son cou, se noue dans ses cheveux,  je décide de ce que l'on fait, elle a du mal à suivre mais est trop fière pour dire stop.

Je sens que parfois elle voudrait arrêter, respirer, mais à chaque fois, je veux quelque chose d'autre.

 

  A un moment, je sens qu'elle bascule et que sa résistance faiblit. Je sais qu'elle se dit que de toute façon, ça ne sert à rien de lutter. A ce moment, je sors d'elle, je remonte et me met à califourchon sur sa poitrine, mes jambes bloquent ses bras, je tire ses cheveux pour que sa bouche rejoigne mon sexe et je rentre. Elle veut bouger mais ma main tire plus fort ses cheveux, c'est moi qui bouge dans sa bouche, plus fort, plus loin, plus longtemps.

  Elle finit après quelques instants à avoir un sursaut et veut arrêter, je sors de sa bouche et commence à la gifler, puis je l'embrasse, je joue l'étonné, je pensais qu'elle était capable de faire ça… et son orgueil reprend le dessus, elle me dit que je n'ai qu'à continuer pour voir… je souris, c'est ce que je veux, elle est perdue… Alors je la sort du lit par les cheveux, je lui dis de se mettre à genoux, les mains dans le dos. A chaque fois qu'elle sort mon sexe de sa bouche, je la gifle, je la gifle sans raison, je ne lui laisse aucun répit, je lui dis que j'adore être dans sa bouche, je la complimente, je la gifle, je prends sa bouche, je ressors, je la regifle, je la couche sur le lit, la tête renversée et je reviens dans sa bouche, elle vomit un peu, je continue.

 

  Alors, une dernière fois, je la fait se mettre à genoux, elle met elle-même les mains dans le dos, elle ne résiste plus, j'ai réussi, j'ai réussi à la faire taire, à lui dire que c'est moi qui décide, pas elle, ce sentiment résonne en moi comme une victoire, une vengeance, alors, je rentre de plus en plus vite dans sa bouche et je jouis.

 

  J'ai raison, tu as tort. J'ai gagné, tu as perdu. J'ai parlé, tu te tais. Je commande, tu obéis.

 

  Malgré ma jouissance, je vais continuer avec elle une partie de la nuit, avec mon sexe, mes mains, ma langue. Je ne m'arrête qu'au bord de l'épuisement.

 

Je la regarde me sourire avec la peur dans ses yeux, je caresse ses cheveux. Qu'est-ce que je voulais ? Être violent ? Non, j'étais beaucoup plus excité quand j'arrivais à la convaincre avec des mots plutôt qu'avec des coups. La soumettre ? Un peu, mais la victoire est trop facile.

 

  Non, je crois que je cherchais son renoncement, qu'elle abandonne la lutte pour que je reste maitre du terrain.

 

  Qu'elle ne parle plus et que je sois le seul à parler.

 

  Qu'elle m'accorde sa confiance ?

 

  Qu'elle

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