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28 septembre 2007 5 28 /09 /septembre /2007 13:30

  Je suis épuisé. Moralement. Physiquement. C'est trop à supporter.

  Mon père à cédé devant elle, il ne pouvait plus contenir cette violence et cette folie qu'il avait crées.

  Mon père. Impitoyable, envers lui, envers les autres, envers tout. Rien ne trouvait grâce à ses yeux. A part Wagner, peut-être. Supérieurement intelligent, il aimait provoquer les autres, les rabaisser, "chercher la faille" comme il disait.
  Il s'est fâché avec toute sa famille, ses amis, ses relations ; obtus jusqu'au bout, arrogant jusqu'à l'écœurement. Je l'ai haï pendant des années, je me suis opposé à ce rouleau-compresseur mental jusqu'à devenir une bête enragée. J'ai du fuguer à 18 ans pour m'engager dans les troupes parachutistes, c'était ça ou devenir fou. J'avais accumulé tellement de haine et de désespoir que j'étais devenu comme lui : impitoyable envers moi et envers les autres. Plus rien ne me touchait, j'étais extrémiste, cynique au dernier degré.

  Et dans cette guerre atroce, ma mère a été broyée. Elle aussi avait un drôle de caractère : changeante, cyclotimique, irritable. Mais je comprends aujourd'hui trop tard, maintenant qu'elle est emmurée à jamais dans son esprit ravagé et fatigué, qu'elle s'est battue toute sa vie contre son mari, qu'elle a passé sa vie avec un stress extrême, une pression inhumaine pour lui résister, pour protéger au mieux ses enfants. Elle s'est battue comme elle a pu mais les attaque étaient trop fortes : petit à petit, elle a perdu pied, et comme un animal blessé et cerné de toutes part, elle a laissé libre cours à une agressivité permanente, immédiate, toujours plus forte et incontrôlable.

  Et du coup, mon père a fini par passer les quinze dernières années de sa vie à contrôler le monstre qu'il avait créé. Pour chaque phrase de mon père, ma mère criait, hurlait. Pour chaque hurlement, mon père répliquait par d'autres phrases assassines. C'était une escalade permanente, un cercle vicieux dans le quel j'essayais vainement de vivre ma vie.

  Les dernières années de leur retraite, la joute verbale était devenu leur mode de communication, leur drogue, leur came. Ils ne savaient plus se parler, s'écouter, ils n'étaient que des combattants hagards, incapables de comprendre leur situation, le pourquoi de cette violence, avoir l'envie de s'en sortir.

  Même leur haine l'un de l'autre se nourrissait de leur dépendance ; lui était incapable de s'occuper des taches ménagères et devait subir le bon vouloir de ma mère pour manger ou avoir des vêtements repassés. Elle était souvent malade, sujettes à de fréquentes angines de poitrine, elle avait le cœur fatigué et mon père, médecin de son état, avait depuis longtemps pris en main son traitement médical, sous-entendant souvent que ma mère était un peu un malade imaginaire. Ils se tenaient ainsi l'un l'autre, se prenant chacun à la gorge dans un affrontement sans fin.

  Après plusieurs années sans les voir,  j'avais fini par emménager dans la même ville qu'eux et je passais parfois les voir. Mais trop souvent, je devais affronter l'un ou l'autre et un jour, j'ai du de nouveau claquer la porte en me disant que je devais fuir si je voulais leur survivre.
  Plusieurs années ont passé. Ils ont eu un jour un accident de voiture assez grave et je les ai revu, je ne suis pas un salaud. Puis de nouveau, les relations ont dégénéré et j'ai de nouveau claqué la porte. Quand ma femme est tombée enceinte, c'est elle qui m'a convaincu de prévenir mes parents, j'y étais farouchement opposé mais encore une fois, j'ai voulu faire un effort pour ne pas faire comme lui, le père.

  Et je suis resté ces dernières années à m'occuper un peu d'eux, le temps m'a appris à mettre moins d'affectif et d'émotions. Je ne compte plus le nombre de fois où la Police ou les Pompiers m'ont réveillé en pleine nuit pour m’informer qu’ils s’étaient déplacés afin d'arrêter leurs hurlements ou répondre aux appels au secours de ma mère. Je ne compte plus les appels de voisins se plaignant que ma mère avait éteint les compteurs électriques de l'immeuble ou les petits objets qu'elle jetait du septième étage dans le petit jardin abandonné en contrebas, comme autant d'appels au secours qu'elle lançait au monde.
  Je me souviens d'un samedi soir chez des amis quand le téléphone sonna et que les pompiers m'avertirent qu'ils avaient du intervenir car ma mère hurlait qu'elle allait se jeter du haut de l'immeuble. Ils m'attendaient et j'avais du les suivre pour l'emmener aux urgences psychiatriques. Je me souviens le lendemain de ma colère quand le psychiatre me dit avoir trouvé ma mère très en forme et charmante ! Elle savait aussi donner le change.
  Je me souviens avoir conduit mon père dans ces mêmes urgences psychiatriques, complètement aviné, délirant et menaçant.

  Puis est venu le temps du crépuscule pour mon père en octobre 2006. En quelques semaines, il a lâché pied face à ma mère, il s'est réfugié dans le mutisme et toujours plus dans l'alcool et je n'ai pas vu venir les signes avant-coureurs. Il a commencé à s'asseoir de longues heures à la table de la salle à manger, à regarder à travers la baie vitrée la vue qu'il aimait tant sur la colline d'en face. Il ne parlait presque plus, il se laissait rabrouer par ma mère et mangeait de moins en moins. Il ne sortait plus, ne lisait plus.
  J'aurais pu voir, faire quelque chose, mais non, mon âme était morte, j'étais moi aussi tout entier broyé depuis des mois par une autre douleur, la pire qui soit et je devais quand même avancer, tenir ma femme à bout de bras, montrer l'exemple, monter l'espoir alors que je n'avais qu'une envie, pleurer comme elle, me laisser aller et ne plus penser, ne plus vivre. Et pour mon fils aussi, il fallait encore sourire, encore rire, encore vivre. J'ai du arracher mon âme à l'enfer pour tenir dans ces mois-là...

  En avril, il avait perdu 20 kilos. Un soir où il avait encore trop bu, il tomba lourdement dans le couloir et se cassa le poignet. Les pompiers l'emmenèrent à l'hôpital. Quand il se réveilla, deux jours après, il était hagard et ne parlait plus, juste quelques syllabes ici et là. Je comprenais parfois ce qu'il disait en le faisant répéter. Son regard était devenu terne, il me fixait parfois mais le plus souvent regardait au loin. Je lui mentais tous les jours en lui disant que cette fois-ci, le médecin avait trouvé le bon traitement médical pour ma mère et que depuis quelques jours, elle était redevenu calme et le réclamait. Je lui disais de se reposer et qu'à son retour, tout irait mieux.
  Puis on m'a téléphoné un 25 avril au soir, me disnat que mon père était au plus mal et que se serait mieux si je venais. Le temps d'arriver, il était déjà parti. J'ai ressenti  du soulagement pour lui, pour ses derniers mois de calvaire. J’ai ressenti l'immense gâchis de sa vie, de cet homme endoctriné, pris au piège de ses convictions stupides et pour la première fois de ma vie, j'ai eu pitié de lui.

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